Une analyse de la révision de la directive de l’Union européenne concernant la réutilisation des informations du secteur public par Ton Zijlstra (Consultant Open Data, Ancien membre de l’EPSI Platform) et Katleen Janssen (Chercheuse à l’ICRI, Interdiscipline center for Law and ICT). La version originale (en anglais) de cet article a été publiée sur le blog de l’OKFN. Traduction version française : Pierre Chrzanowski, édité par Regards Citoyens.

Inside the European Parliament in Strasbourg- Source : C.Puisney – Licence : CC SA

 

Le 10 avril dernier, la vice-présidente de la Commission Européenne Neelie Kroes, également responsable du Digital Agenda, a annoncé que les états membres de l’Union Européenne avaient approuvé un texte modifiant la directive encadrant la réutilisation des informations du secteur public. Ce texte régule l’accès et la réutilisation des données et documents publics en Europe, souvent désignés par le terme Open Government Data ou plus génériquement Open Data.

Dans cet article, nous revenons en détail sur les annonces faites par la Commission dans son communiqué de presse, que nous comparons avec la version actuelle de la nouvelle directive. Notre analyse est fondée sur le texte (non publié officiellement) issu du trialogue final du 25 mars et apparement accepté par les états membres il y a deux semaines.

L’étape finale après la validation par les états membres est désormais l’adoption du même texte par le Parlement Européen. Ayant pris part au trialogue, ce dernier devrait donc l’accepter à son tour. Le vote au sein de la commission ITRE est planifié pour le 25 avril, et le vote en session plénière au Parlement est prévu pour le 11 juin. Les états membres auront ensuite 24 mois pour transposer la nouvelle directive dans leur droit national, ce qui signifie que celle-ci devrait s’appliquer à travers l’ensemble de l’Union Européenne d’ici fin 2015.

La règle de mesure de l’Open Data

La directive existante a été adoptée en 2003, bien avant l’émergence du mouvement Open Data, et écrite avec principalement à l’esprit les réutilisateurs « traditionnels » de l’information publique. Au sein de la communauté Open Data, la nouvelle directive sera en grande partie jugée selon deux critères : a) à quel point l’Open Data, au sens de l’Open Definition, devient-elle la norme pour les informations publiques ? et b) dans quelle mesure les états membres y seront-ils contraints ?

Ce qui nous intéresse ici sont le droit d’accès et son champ d’application, les possibilités de recours lorsque celui-ci n’est pas applicable, les questions de tarification, de licence, de standard et de format. Nous allons donc passer en revue ces questions point par point :

Droit d’accès et champs d’application

  • La nouvelle directive inclut les musées, bibiothèques et archives dans son champs d’application. En revanche, des exceptions et des règles moins strictes s’appliquent à ces détenteurs de données ;
  • La directive s’inscrit, comme auparavant, dans le droit national existant concernant l’accès aux informations publiques, la vie privée et la protection des données. Cela signifie qu’elle s’applique seulement à la réutilisation des informations déja définies comme publiques. Par ailleurs, elle ne rend pas la publication pro-active des données obligatoire ;
  • Le principe général pour la réutilisation des données a été révisé. Alors que l’ancienne version définissait les champs d’information où la réutilisation est autorisée (laissant aux états membres et administrations concernées le choix de l’application), la nouvelle directive précise que tout document, entrant dans le champs d’application (légalement public) devrait être réutilisable pour des usages commerciaux ou non-commerciaux. Nous retrouvons cette nouveauté dans le communiqué de presse de Neelie Kroes :  » un véritable droit à la réutilisation des informations publiques, non présent dans la version de 2003″ a été introduit. Pour les documents des musées, bibliothèques et archives, les anciennes règles s’appliquent : la réutilisation doit d’abord être autorisée (excepté pour les ressources culturelles dont l’accord d’exclusivité pour leur numérisation a expiré, voir paragraphe sur la tarification) ;

Demande d’accès aux informations publiques et droit de recours

  • La manière dont les citoyens peuvent demander d’accéder aux documents administratifs en vue de leur réutilisation, ou la manière dont les administrations peuvent répondre à ces demandes, restent inchangées ;
  • La procédure de recours pour les citoyens est néanmoins définie avec plus de détails. Le texte précise que l’une des possibilités de recours doit être de pouvoir faire appel à « une entité impartiale possèdant l’expertise appropriée », qui agit « de manière rapide » et qui possède un pouvoir contraignant. Exemples : « l’agence nationale pour la concurrence, la commission nationale d’accès aux documents ou un tribunal national ». Cette partie de la directive, bien que plus détaillée qu’auparavant, ne créée cependant pas de procédure de recours spécifique, rapide, et indépendante comme nous aurions pu l’espérer.

Tarification

  • Quand une tarification des données est appliquée, elle devrait être limitée au « coût marginal de reproduction, publication et diffusion », qui est laissé ouvert à l’appréciation des détenteurs de données. La tarification selon le coût marginal est un principe important, car dans le cas d’un contenu numérique, cela signifie la plupart du temps un coût égal à zéro ;
  • La directive laisse de la place à des exceptions au principe de tarification au coût marginal, notamment pour les établissements publics qui doivent générer des revenus et pour les documents spécifiquement exclus : d’une part, le texte se base une fois de plus sur le concept de service public, qui avait provoqué tant de débats pour la première version, d’autre part, une distinction est faite entre les entités qui doivent générer des revenus pour couvrir une part susbtantielle de leur activité et celles qui sont complétement financées par l’argent public (excepté pour des jeux de données particuliers dont la collecte, production, reproduction ou diffusion doit être couverte pour partie par des revenus). Serait-ce une manière de couvrir les activités économiques voire commerciales, en les définissant comme « mission de service public », et en évitant ainsi les règles de non-discrimination exigeant l’égalité de traitement pour les possibles concurrents ?
  • Les exceptions au cout marginal restent toutefois encadrées par une limite haute, définie dans l’ancienne version de la directive et qui concernent les organismes devant se financer eux mêmes pour partie. Pour les institutions culurelles, la limite haute du revenu total inclut le coût de collecte, production, préservation, modification des droits, reproduction et diffusion, associé à un retour sur investissement raisonnable ;
  • La manière dont les coûts sont structurés, définis et utilisés pour justifier une tarification des données doit être établie à l’avance et publiée par l’organisme. Lorsqu’une exclusivité est mentionnée, la tarification et les critères appliqués doivent être établis à l’avance et publiés. Le mode de calcul utilisé doit pouvoir être accessible sur demande (ce qui était la règle générale auparavant). Cette exigence de rendre les modes de tarifications complétement transparents en amont, c’est-à-dire avant même qu’une demande de réutilisation soit soumise, pourrait avoir des conséquences intéressantes : il est peu probable en effet que les organismes publics iront jusqu’à calculer les coûts marginaux pour tous les jeux de données qu’ils possèdent, cela signifie que les données ne pourront pas être soumises à tarification, puisqu’aucun mode de calcul n’aurait alors été défini, justifié, et publié en amont.

Licences

  • La nouvelle version de la directive ne contient aucun changement concernant les licences. Nous n’avons donc pas de mouvement explicite vers les licences libres ;
  • Là où les états membres définissent des conditions à la réutilisation, une licence standard devrait être disponible, et les organismes publics devraient encourager son utilisation ;
  • Les conditions de réutilisation ne devrait pas restreindre inutilement la réutilisation, ni la compétition ;
  • La Commision devra apporter son soutien aux états membres dans la création de bonnes pratiques, en particulier sur les questions de licences.

Règles de non-discrimination et droits d’exclusivité

  • Les règles existantes pour garantir la non-discrimination dans la réutilisation, y compris pour des activités commerciales par le secteur public lui-même, restent inchangées ;
  • Les accords d’exclusivité ne sont plus autorisés, excepté pour assurer l’intérêt public, ou pour les projets de numérisation des musées, bibliothèques, et archives. Pour les premiers, une réévaluation du contrat est requise tous les 3 ans ; pour les seconds, une réévaluation est requise après les 10 premières années, et ensuite tous les 7 ans. Seulement la durée de l’accord peu être renégociée, pas son existence. En retour de l’exclusivité, l’entité publique se voit obligée de mettre la ressource culturelle à disposition lorsque l’accord se termine. Au finla, les institutions culturelles n’auront donc plus le choix de permettre ou non la réutilisation de leurs contenus numériques, mais la durée pendant laquelle la ressource restera indisponible après numérisation pourrait durer plusieurs années.

Formats et standards

  • Les standards ouverts et les formats lisibles par les machines devraient être utilisés à la fois pour les documents et pour les métadonnées associées, et ce dans la mesure du possible. Autrement, les formats pré-existants restent acceptables.

Pour résumer, la nouvelle version de la directive ne semble pas avoir adopté les mesures audacieuses réclamées par le mouvement Open Data depuis 5 ans. Néanmoins, de réels progrès ont été réalisés. Les états membres engagés dans une démarche Open Data constructive seront encouragés à aller de l’avant. Aussi, l’obligation de transparence dans la tarification des données devraient dissuader les organismes publics à faire payer les leurs. Mais la nouvelle directive ne pourra pas être utilisé par les citoyens qui souhaiterait plus d’ouverture par défaut et intégré dans la mise en place des politiques. Même avec les nouvelles procédures de recours, faire valoir vos droits restera, autant qu’avant, un effort long et incertain.

Il sera en tout cas intéressant de suivre les débats en session plénière au Parlement Européen.

 

 

 

2 thoughts on “Une analyse de la nouvelle version de la directive EU sur les informations publiques”

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