Blog post rédigé par Tangui Morlier (Regards Citoyens), Benoit Prieur (Wikimédia France) et Pierre Chrzanowski (Open Knowledge Foundation France).
Dans le cadre du Tandem Dakar-Paris proposé par l’Institut Français, une semaine de séminaires et d’ateliers autour du numérique et de la culture libre a eu lieu à Dakar. Cette série d’événements co-organisée par l’Institut Français et les espaces de coworking Jokkolabs et La Cantine a rassemblé du 15 au 18 mai des représentants de Wikimédia France, Regards Citoyens, Open Knowledge Foundation France ainsi que des acteurs de la communauté sénégalaise : Humanitarian OpenStreepMap Team Sénégal, Campus Numérique de l’AUF, Dakkar Lug, Mozilla.
Les enjeux de l’Open Data pour le Sénégal
La semaine a débuté pour l’équipe parisienne par une conférence sur l’Open Data. Dans la salle, peu de personnes ont déclaré bien maitriser le sujet. Ce fut donc l’occasion d’introduire les principes de l’ouverture des données publiques et de présenter le rôle d’acteurs comme Regards Citoyens et l’Open Knowledge Foundation. Les interventions du public ont permis de clarifier la distinction entre l’effort de transparence, qui a déja pu être entrepris par des Ministères ségénalais, et un véritable programme Open Data, qui vise à ce que les informations mises à disposition soient librement réutilisables.
Un panel de discussion a ensuite réuni des représentants du PNUD (Programme des Nations Unis pour le Développement) ainsi que la Conseillère Technique auprès du Président de l’Assemblée Nationale du Sénégal. Le PNUD a présenté son programme d’accompagnement des INS (Instituts Nationaux de Statistiques) qui vise notamment à harmoniser les bonnes pratiques en Afrique de l’Ouest, mais aussi permettre aux INS de mettre en place leurs propres standards et outils d’évaluation. Dans ce contexte, l’Open Data représente un véritable intérêt pour le projet, notamment pour fluidifier les échanges d’information entre le PNUD et ses partenaires nationaux. L’importance des données locales a également été évoquée, avec le défi que représente la collecte de ce type d’information en milieu rural (accès à l’énergie, sécheresse, …). À ce sujet, le groupe des Peace Corps, ces jeunes volontaires américains qui séjournent dans des villages africains, fut mentionné comme un exemple original d’organisation parvenant à faire remonter et aggréger des informations d’endroits souvent reculés dans le monde. La mise en place d’un réseau d’acteurs locaux pourraient de la même façon permettre la collecte d’information au profit du pays.
Un second panel a réuni des représentants de la société civile ainsi que des journalistes. Nous avons ainsi découvert le journal d’informations rappé du Sénégal mais aussi discuté des conditions d’exercice du métier de journaliste dans le pays. Il existe toujours des délits de presse au Sénégal et des journalistes qui se retrouvent en prison pour l’exercice de leur métier. L’ONG SpeakUp Africa a enfin plaidé pour libérer les données de santé en Afrique.
Il ressort de ces panels et des interventions du public que l’Open Data représente pour le Sénégal un enjeu de maîtrise et de valorisation économique et sociale de ses informations, où de nombreuses agences internationales se substituent encore aux administrations du pays pour la collecte et le traitement des données publiques. Mais c’est aussi et surtout un enjeu de bonne gouvernance et de démocratie, et à ce titre, journalistes et acteurs de la société civile ont leur mot à dire.
Open Data Census
Les ateliers de travail organisés les jours suivant nous ont permis de participer au projet Open Data Census pour le Sénégal. L’Open Data Census est une initiative de l’Open Knowledge Foundation qui vise à évaluer et comparer l’accessibilité des principaux jeux de données publiques dans les pays. Il s’intéresse essentiellement aux degrés d’ouverture des jeux de données, leur existence dans un format numérique, la présence d’une licence libre, qui permettent de déterminer si les informations sont disponibles en Open Data.
Les résultats de l’Open Data Census montrent que le Sénégal collecte déjà un grand nombre d’informations publiques au format numérique, dont 8 des 10 jeux de données définis. Néanmoins plusieurs de ces jeux de données ne sont pas accessibles en ligne (résultats des élections, registre des entreprises), et aucun n’est disponible dans un format lisible par un programme informatique, tel que le CSV. Ainsi, les données de l’ANSD, l’Agence Nationale de Statistiques du Sénégal, sont bien accessibles sur leur site, mais disponibles uniquement au format PDF. Il n’existe pas non plus de licence spécifiant les conditions d’utilisation pour les jeux de données accessibles. Enfin des incertitudes demeurent sur la complétude et l’exhaustivité des données. Tous les textes de loi ne sont pas accessibles et le projet Open Street Map Sénégal a démontré la faible qualité des cartographies officielles.
Les barrières à la mise en place d’un programme Open Data au Sénégal ne sont pas différentes de celles d’autres pays aujourd’hui engagés. Elles se résument essentiellement pour les administrations publiant déja leurs données à l’adoption d’une licence libre et à l’usage de formats ouverts. Il suffirait pour cela d’un décret précisant les conditions d’application du chapitre 7 de la loi d’orientation sur la société de l’information. Et pour les autres, qui ne publient rien, un engagement politique fort de la part du gouvernement sera au moins nécessaire.
Libération des Marchés Publics
Une équipe s’est également penchée sur les données des marchés publics au Sénégal : appels d’offres, attributions, montants et contencieux sont publiées par l’ARMP depuis 2008. Le sénégal possède donc une culture de publication de l’information liée aux achats publics beaucoup plus développés que beaucoup de pays occidentaux. Mais ces informations ne sont accessibles que sous format PDF et donc difficilement traitables et réutilisables à des fins statistiques.
En moins d’une journée, les participants à l’atelier ont écrit des logiciels permettant de rendre exploitables ces informations. 4 800 marchés publics attribués entre 2010 et 2013 ont ainsi été publiés sous la forme d’un fichier tableur contenant la date, l’institution, le montant et l’attributaire concerné.
Une fois nettoyées et corrigées, les données ont ensuite été téléchargées sur le datahub NosDonnées.fr* puis sur la plateforme OpenSpending.org afin de pouvoir être facilement analysées, exploitées, et communiquées.
Explorer les marchés publics sénégalais
Wiki Love Monuments
Enfin, un travail d’ouverture des données relatives aux monuments et sites historiques sénégalais (au sens du ministère sénégalais de la culture et du patrimoine classé) a été réalisé. Quatre cent sites et monuments ont été organisés sous la forme de données afin de faciliter leur géolocalisation et la réutilisation de ces informations**.
Le premier résultat est la présence sur Wikipédia francophone de la liste exhaustive des monuments et sites historiques
Parallèlement un travail de tri et d’organisation a été réalisé sur Wikimedia Commons (la médiathèque liée à Wikipédia) de manière à identifier l’ensemble des monuments possédant déjà une illustration. Ce travail de recensement montre que le patrimoine sénégalais pourrait être encore mieux valorisé grâce aux nouvelles technologies.
La participation du Sénégal au concours international d’illustration du patrimoine classé « Wiki Love Monuments » pourrait accélérer le processus d’illustration de ce patrimoine. En 2012, plus de trente pays ont participé, pour un total de plus de 200 000 photographies téléversées par des dizaines de milliers de contributeurs. Ces illustrations sont librement consultables aux dizaines de millions de visiteurs du site Wikipedia ou de ses différentes initiatives. Fort de cet engouement, plus de vingt-cinq pays ont déjà confirmé leurs participations pour l’édition 2013.
La communauté sénégalaise du libre grandit
Cette semaine a enfin été l’occasion de lancer le chapitre FOSSFA Sénégalais (Association pour la promotion du logiciel libre en Afrique), avec lequel nous espérons collaborer et d’échanger autour des espaces collaboratifs avec Jokkolas et La Cantine. Nous avons également eu le droit à une présentation du travail de l’équipe Open Street Map Sénégal qui a montré combien son projet de cartographie collaborative pouvait être efficace et important dans des régions comme le Sénégal où les cartographies officielles sont de qualité variable.
(*) Données de marchés publics : http://www.nosdonnees.fr/dataset/marches-publics-du-senegal-publies-par-l-armp
(**) Données des sites historiques : http://www.nosdonnees.fr/dataset/monuments-et-sites-historiques-du-senegal
Les logiciels développés pour facilliter la création du jeu de données marchés publics sont disponibles à cette adresse : https://gitorious.org/sharedscrapers/aod_senegal